Quelles émissions politiques pour la campagne de 2012 : ma dernière conversation avec un patron de l'audiovisuel

Publié le par blogduconseiller

J’entretiens depuis longtemps une amitié avec un homme devenu il y a quelque temps le patron d’une grande antenne audiovisuelle. Il voulait ce soir-là connaître mon avis sur le format des émissions politiques de la campagne présidentielle. J’ai retranscrit notre dialogue pour vous permettre de mieux apprécier les débats qui animent en ce moment les rédactions à l’approche de la campagne électorale de 2012.

 

« Tu as pu regarder ce que je t’ai envoyé ? J’ai l’impression de tourner en rond, je sais que tu peux m’aider.

 

- C’est nul ! Conformiste, attendu, dépassé. Une heure de plateau, ensuite un opposant - choisi par l’invité, évidemment, et enfin des questions de vrais gens du public. Du Français en chair et en os, du rythme, des relances...  Je te le confirme : vire ton équipe. Vite !

 

- Epargne-moi ton ironie de communicant. Tu sais ce qu’on dit de moi, ça tangue ici et je veux frapper un grand coup. Ce qui veut dire que je peux me planter sévèrement.

 

- Tu as ta place ici ! J’ai toujours rêvé d’être ton chef, j’adore donner des ordres aux HEC-ENA.

 

- Oh… j’aurai bien le CSA un jour ou l’autre…

 

- Ecoute, je vais te dire les choses comme je les pense : ceux qui vous ont imposé vos formats d’émission depuis quelques temps n’ont manifestement ni mon savoir faire, ni ma retenue.

 

- Ta retenue ! Comme quand tu conseillais Tapie !

 

- La solution c’est de faire l’inverse de ce que tu imagines. Ce que tes équipes t’ont proposé, c’est la synthèse impossible entre Jean-Pierre Pernault et le « Petit Journal ». La fausse proximité et l’investigation ironique. Sauf que les deux concepts sont à bout de souffle, c’est fini, retour aux fondamentaux. « Paroles de Français » n’a été que la mise en scène de l’impuissance, d’un pouvoir qui n’est plus que celui du commentaire, du « vous avez bien raison, ma brave dame, vous souffrez, je le sais ». Le « Petit Journal » c’est de la flibuste. Tu pourrais bien recruter Bourdin mais c’est lui le héros de ses émissions, c’est hors sujet en 2012. Tes téléspectateurs se foutent de savoir que ton invité s’est fait préparer des fiches, qu’il a des talonnettes et la raie sur le côté. Ils veulent la vérité, c’est tout.

 

- Tu te prends pour Bourdieu ! Tu veux du sérieux, du non-contrôlé ! Tu veux ma mort et la tienne par la même occasion !

 

- Tu te trompes : les Français veulent du grave, du combat mais de la sobriété… du presque emmerdant. Regarde les débats des primaires socialistes ! Mais un homme de média aussi galonné que toi n’a même pas su le déchiffrer : c’est le retour au format long, aux débats fleuves. Ton public, il veut 90 minutes ou deux heures de castagne entre Montebourg et Wauquiez, il veut voir ce qu’ils ont dans le ventre, et il veut du sang. Le débat doit être épuisant pour ceux qui le font et ceux qui le regardent. Les Français en veulent pour leurs impôts. Ils veulent jouer à la démocratie, il ne leur reste plus que ça.

 

- Je corrige ce que j’ai dit : tu ne veux que ma mort. Tu confonds ce que tu veux et ce que je peux.

 

- Tu persistes dans l’erreur, cela m’attriste. En remplaçant les formats longs par des programmes hybrides autour d’un animateur-procureur, vous avez pris les gens pour des benêts, et cela a fini par se voir. Vous avez confondu corrida et combats de gladiateurs. Le vent a tourné.

 

- Tu sais aussi bien que moi que les types ne veulent plus débattre comme ça. Tu crois que Wauquiez veut se farcir Montebourg pendant deux heures à la télé ? Il a la trouille et il a raison. Si je fais ton émission, je n’aurai personne. Personne !

 

- Tu auras ceux qui veulent gagner, maintenant ou plus tard. Mitterrand a bien débattu avec Fourcade en 76... Hollande pourrait bien se payer Fillon. Une émission difficile génère une sélection adverse. C’est à toi de placer la barre le plus haut possible, puis de laisser les gladiateurs faire. Tu n’auras peut-être pas Wauquiez, mais tu auras NKM, Valls, Aubry, Le Maire, Moscovici. Je te le garantis.

 

- Tous tes poulains, quoi. Tu les conseilles tous !

 

- Pas tous, non. Pas encore ! On a tous remarqué que depuis 2007, les ministres ne débattaient plus à la télévision, que les interviews étaient hyper maîtrisées, qu’elles avaient tout perdu en termes de prise de risque. Quand Guéant accepte finalement de passer chez toi pour débattre, il t’oblige à mettre Dray en face, comme si la France jouait à domicile contre les poussins de Corée du Nord ! Ne fais pas cette tête, c’est toi-même qui me l’as raconté. Au final, ces formats ont entretenu la défiance envers le politique et la lassitude du téléspectateur. Tes interviews et tes plateaux ne font plus date, ils n’impriment plus rien dans la mémoire des gens. Le politique, solitaire ou combattant, devant un journaliste à la dure ou un opposant, c’est cela qui a marqué ton enfance politique.

 

- Je passe le million et demi en cumulé avec ça ?

 

- Le journaliste sur le plateau, il relance, il veille à ce que le débat oblige les combattants à échanger argument contre argument, à étayer leurs propos, à prouver leurs assertions. Tu pourrais faire un numéro zéro avec Mosco ? En plus, il en a besoin…

 

- Ca se tente.

 

- En tout cas, ne te trompe pas. Les Français pensent que la politique était plus sérieuse et plus sincère autrefois. Alors, ta marque, ce doit être « les débats comme avant, sans compromission, où chacun prend un risque »…

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L
<br /> Monsieur le Conseiller<br /> <br /> Pas d'accord avec vous, si les primaires ont eu du succès, c'est que le débat était entre proches.<br /> <br /> Un débat entre Montebourg et Wauquiez serait de peu d'intérêt, chacun défendant son camp.<br /> <br /> Un débat entre Arnaud Montebourg ou François Hollande et Eva Joly ou Jean-Luc Mélenchon serait autrement plus attrayant .<br /> <br /> De même à droite, c'est avec Nicolas Sarkozy qu'il faut que Marine Le Pen débatte.<br /> <br /> Là les citoyens peuvent comprendre les positions des candidats qu'ils doivent impérativement préciser pour se démarquer.<br /> <br /> Mais faut-il que les citoyens comrennent....????<br /> <br /> <br />
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